Dans cet article, on vous parle des 80% d'adultes qui déclarent passer 3 heures ou plus devant un écran chaque jour en dehors de toute activité professionnelle ; des écoles sans écrans ; de Bernard Stiegler ; de sens critique et de libre arbitre (pas si libre). C'est parti !
ou comment prendre nos responsabilités en tant que concepteurs et conceptrices d'applications, pour ne pas jouer sur les vulnérabilités humaines face aux technologies.
Les outils technologiques que l'on consomme – et que l'on conçoit – ont des conséquences sur l'ensemble de nos besoins :
Face à ces constats, on pourrait se sentir coupable. Nous ce qu'on avait en tête, c'est plutôt que ces chiffres et études nous permettent de nous sentir responsables et ainsi d’identifier la manière dont on peut agir !
Afin de s'y retrouver, on a repris la théorie d’Alderfer : on vous explique tout dans cet article.
La théorie ERG d'Alderfer sur la motivation, c'est ça (en un chouia simplifié, on vous l'accorde).
Il s'agit d'une thèse mise au point en 1969 afin d'expliquer la motivation des individus à réaliser une action, qui défend que ces derniers chercheraient à satisfaire un panel de besoins. Il en existerait trois types : les besoins d’existence (besoins vitaux), les besoins de sociabilité (besoins de relations interpersonnelles) et les besoins de développement (besoins d'épanouissement).
Sans chercher à faire une revue détaillée de cette thèse, ce qu'on a trouvé intéressant, c'est cette catégorisation en groupe de besoins car les outils technologiques que l'on consomme – et que l'on conçoit – ont des conséquences sur l'ensemble de ces besoins : c'est de ça qu'on veut vous parler !
On vous le disait en introduction, la tech influe sur l'intégralité de nos besoins – dont nos besoins vitaux !
En conséquence, notre santé en prend un coup. Voyez par vous-mêmes : dans l'étude Esteban, réalisée entre 2014 et 2016 par Santé publique France, on apprend que 80% des adultes déclarent passer 3 heures ou plus devant un écran chaque jour en dehors de toute activité professionnelle, contre 53% en 2006 !
Les conséquences de cette hausse de l'exposition aux écrans sont multiples :
Autre exemple tout aussi marquant sur l'attention, issu du très pertinent petit guide Ledger of Harms : on découvre que 75% du contenu de nos écrans est visionné pendant moins d'une minute, selon une étude qui a suivi le multitâche informatique sur une journée. Les résultats indiquent que la plupart des personnes passent d'un contenu à l'autre toutes les 19 secondes ! L'analyse biologique a démontré qu'elles ressentaient un "high" neurologique à chaque fois qu'elles changeaient de contenu. Ce qui explique pourquoi nous ressentons cette incitation à "switcher" et souligne que la biologie humaine nous rend vulnérables à la manipulation par des économies qui attirent l'attention.
Pour l'instant, ce n'est pas réjouissant, on vous l'accorde !
Si l'on en croit les études scientifiques, nos besoins sociaux et affectifs ne sont pas en reste : la recherche montre un large éventail d'effets sur notre bonheur, notre image de nous-mêmes et notre rapport aux autres. Toujours dans le guide Ledgers of Harms, on recense que 30% des 18-44 ans ressentent de l'anxiété après deux heures sans consulter Facebook. À l'inverse quelques semaines passées en se coupant des réseaux sociaux contribuent à une augmentation significative du bien-être émotionnel.
Cela s'explique notamment par
Pour aller encore plus loin, on en vient même à s'interroger sur la propension de Facebook à nous rendre nostalgiques, par exemple via sa mise en scène de "moments de vie" qui nous sont rappelés à intervalles réguliers.
Toujours sur ce volet mais auprès d'une population encore plus jeune, l'incursion des nouvelles technologies au sein des salles de classes interpelle les spécialistes de l'éducation. Alors qu'on nous vantait les bienfaits des technologies pour faciliter l'apprentissage, on nous alerte désormais sur ses limites, voire ses méfaits. Dans une tribune militante, diverses associations engagées contre la numérisation de l’éducation nous rappellent que la surexposition aux écrans entraîne troubles de l'apprentissage, retard de langage, intolérance à la frustration, baisse de l’empathie ou encore cyber-harcèlement.
Si une partie des professionnels et professionnelles prônent une utilisation raisonnée à l'école, avec par exemple un usage des tablettes réservé à des élèves en fin de primaire (et uniquement dans des matières scientifiques), d'autres vont encore plus loin. Depuis quelques années déjà, on voit fleurir des écoles sans écrans, notamment dans la Silicon Valley promouvant un retour à « l'interaction avec le professeur, afin de développer le dialogue et les facultés de réaction ». Plus récemment, à l'instar de ces établissements, l'économiste Jean-Pascal Gayant estime que « l’école doit être un espace de désintoxication numérique ».
Un sujet à méditer donc et qui risque de faire couler encore beaucoup d'encre. Et vous, vous en pensez quoi ?
Pour terminer, on voulait vous parler de sens critique, de libre arbitre et d'une potentielle perte de liberté face aux usages technologiques. Pourtant, on se croit volontiers libre de choisir le contenu que l'on lit, de partager ce que l'on souhaite à son réseau ; mais la réalité est tout autre. Nombre de plateformes et applications mobiles exploitent nos biais cognitifs, en recourant à diverses techniques basées sur la recherche en sciences comportementales.
Prenons par exemple la technique du "nudge" : il s'agit d'un petit effet coup de pouce sur notre conscience humaine, favorisé par la manière dont les applications sont conçues. Cette technique a été appliquée pour transformer le bouton "retweet" : à sa création, l'utilisateur ou l'utilisatrice devait toujours commenter le contenu qu'il ou elle souhaitait partager ; désormais, il est possible de partager un contenu immédiatement. On passe alors d’une posture de réflexivité à une posture de réactivité, et ce pour quels résultats ? Une enquête de l'Université de Columbia avec Microsoft Research et l'INRIA, publiée en 2016, stipule que seul 60% du contenu qui est retweeté a été lu au préalable...
Autre conséquence : la diffusion massive des "fake news", ces fausses informations. Les "fake news" se répandraient six fois plus vite que les vraies informations, d'après une étude publiée en 2018, réalisée aux États-Unis sur des tweets partagés entre 2006 et 2017. Selon les trois chercheurs, cela s'explique par le fait que les fausses nouvelles attirent davantage notre attention que les informations authentiques : les fausses nouvelles ont généralement un contenu émotionnel plus élevé et contiennent des informations inattendues, ce qui signifie inévitablement qu'elles seront partagées et re-diffusées plus souvent.
En résumé, on croit être libre de choisir ce que l'on va lire ou partager mais on subit en fait une (très) forte influence. Il en va de même pour les algorithmes de recommandation qui, à force de nous proposer des contenus similaires à ce que nous avons déjà aimé, finissent par nous enfermer dans des bulles de filtres : finie l'exposition à « l'information qui pourrait remettre en question ou élargir notre perception du monde »... et c'est bien regrettable !
Face à ces constats, on pourrait se sentir coupable. Nous ce qu'on avait en tête, c'est plutôt que ces chiffres et études nous permettent de nous sentir responsables et ainsi d’identifier la manière dont on peut agir !
Pour se mettre en mouvement, on peut donc...
Pour continuer à explorer ce sujet, on vous conseille :
Sur ce, il ne nous reste plus qu'à vous souhaiter une bonne lecture, et à vous retrouver pour la prochaine cause : « Pour une technologie plus sobre ».
Cette série d'articles fait partie d'un parcours d'initiation à la Tech for Good que nous animons chaque mois. Pour vous y inscrire et échanger avec d'autres personnes qui réfléchissent à ces sujets, on vous donne rendez-vous ici.
Chez Latitudes, nous veillons à utiliser un langage inclusif. Peut-être avez-vous remarqué que nous déclinions de nombreux termes au féminin et masculin : “étudiants et étudiantes” par exemple. En effet, le point médian qui est souvent de mise dans ce cas n’est pas (encore) accessible aux lecteurs d’écran des personnes malvoyantes, et nous ne voudrions pas les exclure.
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