Dans cet article, on vous parle d'illectronisme, du Référentiel Général d'Amélioration de l'Accessibilité (RGAA) et de l'association Emmaüs Connect. C'est parti !
c'est-à-dire comment lutter contre la fracture numérique et rendre les technologies accessibles à toutes et tous, quels que soient nos âges, nos classes sociales ou nos handicaps.
On vous en parlait dans l'article précédent, la tech souffre d'un véritable manque de diversité qui, entre autres, influe sur notre capacité à créer des outils inclusifs pour tout le monde : difficile de créer des outils pour des personnes dont on n'imagine pas le quotidien ! On voulait donc prendre le temps de décrypter ce que l'on entend par accessibilité et comment on peut faire évoluer nos pratiques vers davantage d'inclusion. Pour cela, on a choisi de s'intéresser tout particulièrement au sujet de la fracture numérique et à celui de l'accessibilité aux personnes en situation de handicap.
L’expression "digital divide" ou fracture numérique aurait été évoquée pour la première fois aux États-Unis en 1995 par Austin Long-Scott, en décrivant les risques d’exclusion des plus pauvres et des communautés minoritaires quant à l’accès aux technologies de l'information et de la communication. La problématique n'est donc pas nouvelle mais depuis son apparition, elle ne cesse de se décliner, à tel point qu'aujourd'hui on nous alerte : « la fracture ne se réduit pas, elle se déplace ».
En effet, on distingue la fracture numérique dite de premier degré, relative aux équipements et à la connexion internet, de la fracture dite de second degré, relative aux usages. En France, la fracture numérique de premier degré n'est plus le principal point de tension avec 83% des ménages équipés d'un ordinateur en 2019 et 86% d'une connexion à internet même si l'on note une progression plus lente du niveau d'équipement ces cinq dernières années. À l'inverse, les chiffres concernant les usages restent préoccupants.
Selon l'INSEE, 1 personne sur 6 en France n'a pas utilisé internet au cours de l'année 2019 :
Pire encore, 1 personne sur 3 est abandonniste, c'est-à-dire qu'elle a déjà abandonné une démarche (administrative, achat en ligne, etc.) car il fallait utiliser internet. C'est par exemple ce qui a eu lieu avec le système de remboursement du Pass Navigo de décembre 2018 : il n'était accessible qu'en ligne, ce qui a découragé beaucoup de bénéficiaires.
Aujourd'hui, le terme de fracture numérique est fortement remis en question par le milieu associatif. Dans cette tribune par exemple, Taoufik Vallipuram explique que ce terme « pointe du doigt les utilisateurs et utilisatrices » et sous-entend que la solution résiderait dans le tout-numérique. Un contre-exemple parlant tiré de cette tribune : « Avec des collégiens et collégiennes [...] qui maîtrisent Wikipédia mais ne voient son utilité que dans un cadre scolaire, les difficultés ne sont pas d’ordre numérique. Elles tiennent d’abord au rapport à l’école et à l’information. »
Ainsi, selon les universitaires, des solutions à ces enjeux peuvent se trouver dans des politiques d'éducation qui ne se concentreraient pas uniquement sur les équipements. Le constat est partagé par l'OCDE qui, dans un rapport de 2015, appelle à améliorer avant tout l'équité dans l'éducation : « garantir l’acquisition [...] de compétences de base en compréhension de l’écrit et en mathématiques est bien plus susceptible d’améliorer l’égalité des chances dans notre monde numérique que l'élargissement [...] de l’accès aux appareils et services de haute technologie. »
Alors c'est vrai, à notre échelle, il nous semble difficile de jouer sur le tableau des politiques publiques éducatives. Toutefois, le tableau sur lequel on peut influer en tant que concepteurs et conceptrices, c'est bel et bien celui des interfaces et services que l'on crée ! À ce jour, la majorité des sites, qu’ils soient privés ou publics, ne prennent pas en compte les difficultés d’accès que rencontrent les personnes en situation d’illectronisme, tout simplement parce leurs créateurs et créatrices n'ont pas toujours eu de sensibilisation à la question de l’accessibilité au numérique. On creuse tout cela juste en-dessous !
L'accessibilité peut être définie par le fait de concevoir des produits, équipements, services et programmes qui peuvent être utilisés par toutes et tous, dans toute la mesure possible, sans nécessiter ni adaptation, ni conception spéciale (ONU).
À ce sujet, un bref point de clarification s'impose : on s'imagine souvent l'accessibilité comme un enjeu qui ne touche que peu de nos utilisateurs et utilisatrices. Pourtant en France, 24% des 15-64 ans est en situation de handicap au sens large (Dares). Et nous pouvons toutes et tous le devenir, même temporairement – avez-vous déjà essayé d'utiliser un clavier avec une main dans le plâtre ?
Ainsi, il convient de penser l'accessibilité non en termes de « déficiences », mais en termes de « handicaps liés au contexte » : une personne sourde (déficience) n'aura aucun handicap pour lire un e-mail par exemple. La situation de handicap est causée par l'inadéquation entre un service et une personne l'utilisant : tout est affaire de conception !
Pour bien comprendre les enjeux, il faut se mettre à la place des personnes vivant une situation de handicap face à un service numérique (c'est très bien expliqué dans cette page de sensibilisation à l'accessibilité par BetaGouv). Pour percevoir le contenu et interagir avec lui, ces personnes utilisent des techniques variées :
Concevoir un service accessible, c'est donc concevoir un service qui pourra être utilisé par chacun et chacune, quelle que soit sa façon d'y accéder. Par exemple, pour une personne utilisant un lecteur d'écran, il va être primordial que le contenu de la page soit bien hiérarchisé, afin de ne pas avoir à lire toute la page pour s'y retrouver !
Un autre exemple éloquent, tiré de ce site conçu par Atalan, qui propose de simuler une navigation web avec 5 types de déficience – daltonisme, malvoyance, cécité, surdité, handicap moteur :
Ce graphique paraît peut-être très clair quand on a une perception non-altérée des couleurs...
...pourtant il est illisible pour une personne daltonienne (5% de la population) !
Heureusement, une conception légèrement différente le rend beaucoup plus accessible.
En prime, l'accessibilité améliore l'expérience pour tout le monde, comme nous le rappelle cette vidéo du W3C : impossible de mettre le son au bureau ? pas si grave, il y a les sous-titres ! trop de luminosité en extérieur ? heureusement, les contrastes ont été bien pensés !
C'est d'ailleurs ainsi que le handicap a été à l'origine de nombreuses innovations parmi lesquelles les SMS, les livres audios ou encore le mode vibreur.
Depuis les premiers balbutiements du web, le W3C (World Wide Web Consortium, fondé en 1994) édite des standards que les développeurs et développeuses connaissent bien car ils assurent la compatibilité entre les principaux langages du web. L'accessibilité a toujours été un de leurs points clés : « The power of the Web is in its universality. Access by everyone regardless of disability is an essential aspect. » disait le fondateur du consortium, qui n'est autre que Tim Berners-Lee, considéré comme l'inventeur du web.
Aujourd'hui, le W3C édite les WCAG (Web Content Accessibility Guidelines), qui font référence au niveau international. Elles sont organisées autour des 4 principes suivants :
De ces principes découlent 13 règles. Par exemple pour le principe « Utilisable », on retrouve les 4 règles suivantes : accessible au clavier, délai de lecture suffisant, ne provoque pas de crise (flashs), navigable (bonne hiérarchisation). Le taux de respect de ces règles permet de donner 3 niveaux de conformité : A, AA, AAA.
En France, la déclinaison de ces règles prend la forme du Référentiel Général d'Amélioration de l'Accessibilité (RGAA), publié dans sa 4ème version en 2019 et accompagné de nombreux critères qui permettent de tester sa conformité. Cette loi s'applique aux services de l'Etat, aux collectivités et aux délégataires d'une mission de service public, mais aussi aux entreprises au-delà de 250 millions d'euros de chiffre d'affaire.
Pourtant, le rapport du Conseil National du Numérique de 2020 nous rappelle que seuls 4% des sites publics ont publié leur attestation de conformité au RGAA ! Et 43% des développeurs et développeuses n'ont pas connaissance d'obligations légales concernant l’accessibilité : si vous avez découvert ce sujet aujourd'hui, c'est l'occasion d'en parler autour de vous !
De notre côté, on a réalisé qu'on se sentait jusque là bien loin de ces sujets... Alors maintenant, on essaie d'évoluer dans un environnement plus diversifié, avec de multiples appréciations de la réalité, pour retirer nos œillères de conception. Des idées pour y arriver :
Une fois tous ces efforts faits, on peut aussi communiquer sur la qualité et l’accessibilité des démarches que l'on rend disponibles en ligne, à l'instar du gouvernement qui recense désormais les performances des services publics en ligne.
Pour continuer à explorer ce sujet, on vous conseille :
On espère que cet article vous aura permis d'apprendre des choses, et on vous retrouve pour la cause suivante : « Pour une technologie plus citoyenne ».
Cette série d'articles fait partie d'un parcours d'initiation à la Tech for Good que nous animons chaque mois. Pour vous y inscrire et échanger avec d'autres personnes qui réfléchissent à ces sujets, on vous donne rendez-vous ici.
Chez Latitudes, nous veillons à utiliser un langage inclusif. Peut-être avez-vous remarqué que nous déclinions de nombreux termes au féminin et masculin : “étudiants et étudiantes” par exemple. En effet, le point médian qui est souvent de mise dans ce cas n’est pas (encore) accessible aux lecteurs d’écran des personnes malvoyantes, et nous ne voudrions pas les exclure.
Il s'agit de l'un de nos petits pas, ces petites choses que nous essayons de faire au mieux... malgré nos imperfections.